Avant mon arrivée sur l’île, je prévoyais que la confrontation avec le seul moyen de transports en commun réunionnais serait délicate. Je me trompais. En vrai, c’est pire.
Le climat, la nourriture… Sur bien des aspects, il y a des différences entre ce que je connais à Paris et ce que je vis à La Réunion. Mais sur la question des transports en commun, le gouffre est abyssal.
Les bus et cars forment le seul véritable moyen de transports en commun sur l’île. Autrement, c’est le règne de la voiture et ses conséquences : routes saturées, pollution, coûts… Au sein d’un foyer, il n’est pas rare de trouver jusqu’à trois voitures ou plus. Et rappel : le prix d’une automobile à La Réunion est en moyenne 30% supérieur au prix pratiqué en métropole.
Place aux tests du réseau des Cars Jaunes. Premier étonnement : le billet. J’en ai eu de deux sortes jusqu’à présent : un qui ressemble à un ticket de carte bancaire – valable uniquement trois heures – et un qui ressemble à un bon de commande. Voilà qui change du fameux ticket de métro parisien et du passe Navigo.
Le prix est fixe (sauf lignes spéciales et tarifs adaptés) : 2 euros le trajet. Cela ne me paraît pas exorbitant. Mais ce prix fixe m’étonne quand même. Il ne varie pas, que ce soit pour traverser l’île (de Saint-Benoît à Saint-Pierre par exemple) ou que ce soit pour un trajet court. A moins que mon inexpérience des transports en commun réunionnais me joue des tours, ce qui n’est pas impossible…
Les cars sont de très bonne qualité. Il y a la clim’ et hormis les couleurs, il n’y a pas de différences notables avec ceux d’Île-de-France. Petite particularité tout de même : la radio est allumée à un niveau sonore assez élevé. En métropole, c’est déjà plus rare, et quand la radio est branchée, c’est à un niveau sonore plutôt bas… et les styles zouk/ragga/dancehall ne sont pas les plus diffusés.
On frappe dans ses mains pour demander l’arrêt !
Un comportement m’a surpris lors d’un voyage en car. Malgré mes écouteurs, j’ai pu entendre quelqu’un frapper deux fois dans ses mains. Je n’y ai d’abord pas prêté attention. Mais quelques minutes plus tard, deux passagers pourtant éloignés l’un de l’autre ont fait la même chose. En analysant la situation, j’ai fini par comprendre : pour demander au bus de s’arrêter, on peut presser le bouton « Arrêt » ou applaudir à deux reprises. Certains frappent même leurs mains et crient « Arrêt ! » à l’attention du chauffeur. Quel étonnement pour moi ! Et une question me trotte en tête désormais : sur Paris, si le bouton « Arrêt » ne fonctionne pas, comment demande-t-on l’arrêt au chauffeur ?
Dans les Cars Jaunes, il y a des ceintures. Ce n’est pas tout le temps le cas en métropole. En parcourant certaines routes réunionnaises, je comprends pourquoi (hormis bien sûr la question de la sécurité). Dans les hauteurs, du côté de la Plaine des Palmistes par exemple, ça tangue ! On surnomme même la route qui passe par Cilaos « la route des 400 virages ». Gare aux cars dans ces moments-là (et aux chiens errants qui dorment sur la chaussée en ignorant royalement le flot de véhicules).
Crises de nerfs face aux horaires
Côté horaires, les cars réunionnais ont une belle marge de progression devant eux. Il y a assez peu de cars chaque jour. Le service démarre autour de 4h30 pour certaines lignes, mais les derniers véhicules circulent jusqu’à environ 20h00. Et dans la journée, on est bien loin du règne du « un bus par heure au moins ». A mes yeux, c’est très problématique. Il n’y a donc pas de transports en commun en soirée ? Et encore moins la nuit ? Et lorsque l’on a des rendez-vous, il faut toujours jongler pour calculer son temps de parcours, ses correspondances, avec aussi peu de créneaux ? Et quelles solutions pour les fêtards de la nuit qui ont trop bu pour conduire ?
La ponctualité est encore un autre vaste champ de bataille. Entre les horaires annoncés et les heures de passage, la différence peut être très importante. Premier exemple vécu : un car censé arrivé à Saint-Benoît à 19h55 est en fait arrivé à destination à… 19h30. Deuxième exemple : à Saint-André, je demande au guichet si le prochain car passe bientôt. « Normalement oui, mais il est peut-être déjà passé. Il doit passer à 19h05 », me dit-il. « Il est peut-être déjà passé ?!? », me dis-je en tête en fronçant les sourcils… parce qu’il n’est que 18h50. Désormais, je comprends pourquoi on m’a raconté, le jour de mon arrivée, qu’il n’est pas rare de voir des personnes marcher le long de la route pour rentrer à la maison, victimes des aléas des cars et bus réunionnais.
Et si on développait (ENFIN) les transports en commun à La Réunion ?
Cette expérience me conforte dans une idée : en Île-de-France, nous sommes très bien servis en matière de transports en commun. Certes, ce n’est pas tout le temps une partie de plaisir. Il faut parfois beaucoup de patience pour parvenir à ses fins, mais il est difficile de se retrouver lâché avec impossibilité de retrouver son chez soi.
J’ai aussi compris une chose : à La Réunion, avoir le permis et être véhiculé est presque obligatoire, que l’on soit actif ou touriste. Même pour les retraités, cela paraît indispensable. Sans cela, la vie devient très compliquée.
Il y a quelques temps, un vaste projet de tram-train a été sérieusement envisagé. Cela a nécessité beaucoup d’années de travail. Mais le projet a été enterré lorsque la région a changé de présidence en 2010. Je n’ai pas tous les éléments pour émettre un jugement expert sur qui a tort/qui a raison, mais à mes yeux, c’est une grave erreur.
Fin 2015, je suis assez estomaqué en voyant à quel point La Réunion est si mal desservie en transports en commun, que ce soit pour les touristes comme pour l’ensemble des Réunionnais : les jeunes, les invalides, les travailleurs du soir, les personnes ne pouvant s’offrir de voiture… Face à un réseau routier saturé et souvent bouchonné, privilégier les transports en commun pourrait être l’option à retenir. De plus, ce serait plutôt bénéfique pour l’environnement. Malheureusement, il semble que ce ne soit pas pour tout de suite.
Ah, et pour conclure, certains moments me rappellent quand même bien les transports en commun de métropole. Quelques exemples pêle-mêle ? Cette adolescente qui descend et multiplie les gestes obscènes (dont certains très explicites) envers le chauffeur, ce couple qui confond embrassade et cannibalisme, cette dame mûre qui lance un gros « Ta gueule » à deux jeunes gens dont elle critique le « manque de politesse » (?!) parce qu’ils ne mettent pas leur ceinture, ces voyageurs côte à côte mais qui discutent en haussant la voix comme si la Terre entière les séparait… Ça va, là je ne suis pas dépaysé.
EDIT : article prémonitoire ? Un jour après avoir écrit ce billet, j’ai passé une fin de journée cauchemar avec les cars réunionnais… La circulation et un accident de la route ont grandement parasité mon voyage de Saint-Denis à Saint-Paul. Je suis tout de même arrivé à Saint-Paul à 19h28, soit deux minutes avant le départ du dernier car pour Saint-Gilles-les-Bains. Mais patatras : il était déjà parti depuis plus de 10 minutes… donc BIEN AVANT l’heure prévue.
La fin de l’histoire ? Plus d’1h30 d’attente à la gare, le temps que des amis viennent me récupérer. Merci, les cars !